Des romans jeunesse qui bouleversent les adultes
Jean-François Sénéchal réside à Saint-Lambert et cumule les honneurs. Son roman Le Boulevard était finaliste au Prix du livre jeunesse des Bibliothèques de Montréal (2017), lauréat du prix Adolecteurs (2017-2018) et du prix Bernadette-Renaud (2018). En août 2018, il s’est rendu à Athènes pour la remise des Diplômes d’Honneur au congrès de l’International Board on Books for Young People (IBBY) puisque Le Boulevard figure sur cette prestigieuse liste d’honneur d’IBBY. Rappelons que cette liste met en lumière le meilleur de la littérature jeunesse de tous les pays membres de cette organisation. Une belle reconnaissance attribuée à un Québécois qui rayonne à l’étranger. La suite de ce premier roman, Au carrefour, vient de remporter le Prix des libraires jeunesse 2019.
Jean-François Sénéchal a également reçu du Conseil des arts du Canada le prix Joseph-S.-Stauffer 2017 en littérature et s’est vu attribuer, la même année, par l’AAM, le prix Philippe-Beha pour L’enquête secrète de la ruelle (photos de Julie Durocher) aux éditions Jules la mouche sous la direction d’Alexandre Lanthier.
Né au milieu des livres, il participe à différents projets en tant que rédacteur, scénariste et réalisateur. Jean-François Sénéchal aborde des personnages vrais, sympathiques où l’entraide et la solidarité affichent présents. Ils reflètent un courage, porteur d’espoir.
Dans Le Boulevard, le narrateur (Chris) raconte l’histoire au «tu» en s’adressant à sa mère qui l’a abandonné le matin de ses 18 ans pour aller chercher son propre bonheur. Vivant avec une déficience intellectuelle, n’ayant jamais vraiment connu son père, Chris verra à créer son bonheur auprès d’êtres marqués par la vie et qui sont en mesure de voir la beauté et les possibilités chez lui. Il réussira à se trouver un emploi, à maintenir son appartement et à devenir autonome. On a dit de Jean-François Sénéchal qu'il «façonne une littérature à caractère social où se trame le surgissement de l’espoir, envers et contre tout».
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Jean-François Sénéchal a écrit
La mémoire des Ombres (Leméac, 2010), Le cri de Léa (Leméac, 2012), Feu (Leméac, 2014), L’enquête secrète de la ruelle (Jules la Mouche, 2015), Le boulevard (Leméac, 2016), L’enquête secrète du trésor perdu (Jules la Mouche, 2017), Au carrefour (Leméac, 2018).
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Voici trois questions à Jean-François...
Avez-vous trouvé difficile de donner une voix juste et crédible au personnage de Chris?
Le personnage de Chris ne s’est pas imposé rapidement et facilement. Il a beaucoup évolué dans le processus de création du roman. Je recherchais d’abord un personnage qui me permettrait d’observer le monde avec des yeux neufs. Un personnage qui aurait la capacité de nous ramener à l’essentiel, tant au point de vue de ce qui nous lie aux autres que dans notre rapport au monde et à la vie en général. Mais quand Chris est né, quand il a commencé à penser et à parler, j’ai su que j’avais trouvé le personnage que je cherchais. Le personnage s’est donc imposé de lui-même après une longue période de gestation, pourrais-je dire, avec sa façon unique de voir le monde et de s’exprimer. Par contre, j’ai dû faire plusieurs choix pour rendre sa narration lisible, cohérente et juste, tant au point de vue du vocabulaire, des expressions que des élisions et de la syntaxe. Je devais en quelque sorte «inventer une langue» pour Chris, même si bien sûr elle tire la plupart de ses éléments du registre de langue familier du Québec. Car rendre à l’écrit l’oralité d’une langue implique de nombreux choix et consiste toujours en une sorte de «bricolage» linguistique. J’ai beaucoup travaillé afin de rendre ce bricolage le plus naturel et le plus crédible possible.
Dans vos deux albums, L’enquête de la ruelle et L’enquête du trésor perdu, les intrigues tournent autour de liens que tissent des enfants avec des aînés: c’est important, les ponts entre les générations?
Oui, le pont entre les générations est important pour moi. En premier lieu parce que la culture, du moins traditionnellement, a depuis toujours emprunté ce pont. C’est cette transmission de la culture, mais aussi celle de l’expérience et de l’Histoire, que je souhaite mettre de l’avant dans mes albums. Mais cela est aussi vrai pour plusieurs de mes romans, comme La mémoire des Ombres, Le cri de Léa et Au carrefour, qui mettent tous en scène des aînés dont la présence profite aux jeunes personnages. Dans les faits, mes livres donnent souvent une place importante à des personnages d’âges différents, comme pour mieux refléter le contexte social de tout un chacun. C’est aussi une façon pour moi d’injecter dans mes histoires des réalités qui ne sont pas nécessairement immédiates ou évidentes pour les jeunes, que ce soit l’engagement social, la solidarité, la justice, la liberté, la transmission culturelle et les changements historiques. Ce faisant, je tente de donner à mes histoires différentes niveaux de lecture, sinon une certaine portée universelle, qui peuvent satisfaire des lectrices et des lecteurs appartenant à différentes générations. Ces mêmes générations qui sont mises en scène dans mes livres.
Vous avez écrit aussi plusieurs romans de science-fiction ou d’anticipation pour les adolescents : qu’est-ce que ce genre vous permet d’explorer?
Les romans d’anticipation et de science-fiction permettent de projeter dans l’avenir toute une série de problématiques actuelles (sociales, politiques, environnementales, économiques, etc.) afin de mieux juger leurs développements ou leurs effets possibles dans le futur. Cet effet grossissant offre de réfléchir sur les conséquences des choix, des gestes, des idées d’aujourd’hui sur demain. En ce sens, mon roman Feu m’a permis d’aborder des questions qui me préoccupent depuis longtemps, notamment les inégalités socioéconomiques, la liberté et différentes formes de ségrégation. À cet égard, les murs prennent dans le roman une importance particulière. Il s’agit de murs assurant la protection des frontières des Cités-États, mais aussi la séparation des classes sociales afin de mieux garantir le contrôle des laissés pour compte par les dominants. On retrouve ces murs tout au long de l’Histoire, en particulier au cours du siècle dernier, et ils risquent de se multiplier encore plus encore, comme le souhaite actuellement Donald Trump. Avec ce roman, je voulais explorer les effets d’un monde gouverné par la violence et la ségrégation telles qu’elles s’expriment encore aujourd’hui, tout en faisant des références à des situations de l’extrême d’hier, en particulier la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Peut-être que l’Histoire ne se répète pas, mais elle a parfois la mémoire bien courte. C’est pourquoi la justice et la liberté sont des idéaux qui demeurent des remparts essentiels contre la barbarie. Pour ce faire, ces idéaux doivent être défendus à tout prix, et c’est ce dont mon roman démontre l’exigence.